Il est tard. Je ne dors pas. Ce n’est pas rare, mais cette soirée est spéciale.
La réclusion prend fin et c’est demain.
Je ne sais même pas si c’est bien.
C’est une solution qui ne dit rien, une suite de mots qui ne servent à rien dans lesquels chacun inscrit les siens.
Je dors pas car j’sais pas si je m’égare, si ça va s’aggraver. Je sais pas quoi penser de cette liberté conditionnée.
Après une privation de liberté, de la société protégée, je me sentais préservée.
J’aimerais avoir plus de choses en commun, partager les mêmes peurs. La leur est concrète, c’est une menace réelle. La mienne est fourbe, abstraite, faussement discrète.
Ce n’est pas un virus et je n’ai pas développé d’immunité. Mais des souvenirs, un clivage me force à tenir ma garde.
J’ai l’air tellement hagard à regarder filer la vie sans un regard parce que j’ai tellement peur qu’ils s’attardent sur mes tares, sur mes torts, qu’à partir de là ce soit trop tard.
On a passé deux mois sans un regard, sans égard alors je divague et je rêve d’une rive qui maintienne la distance, qu’avec patience ils attendent que je trace le passage.
Il est 1h11, nous sommes le 11. On est demain. ça fait deux mois que je n’ai pas vu les miens. Je ne sais pas si c’est bien, je ne sais pas si c’est rien. J’sais pas si je tiens à tenir encore loin, encore loin du lien entre nos mains.
On est déjà demain.
Dans quelques heures, à la lueur, j’irai admirer ma ville de loin.
Je crois en rien de divin mais à l’abri sur la colline, j’irai prier. Au moins j’aurais tenté.
Je demanderai à Fourvière qu’on laisse tout ça derrière.